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Janvier 1998 : une tempête inédite de pluie verglaçante s’abat sur le sud du Québec, ainsi que sur une partie de l’Ontario, des Maritimes et de l’est des États-Unis. C’est du jamais vu. En seulement cinq jours, du 5 au 9 janvier, trois importantes chutes de pluie verglaçante transforment le paysage hivernal bucolique en scène d’hiver catastrophique. Outre les images saisissantes d’arbres figés en sculpture de glace, de pylônes électriques effondrés, de routes paralysées et de renfort militaire, près de la moitié du Québec se retrouve plongée dans le noir lorsque le réseau électrique, mis à rude épreuve par les accumulations de glace, cède à son tour.

Ainsi s’annonce la crise du verglas. Hélas, le mont Royal et ses milliers d’arbres n’y échappent pas.

La montagne de glace

Dame Nature se déchaîne tout autant sur la montagne. La montagne reçoit de 8 à 10 cm de glace, soit l’équivalent de la quantité de verglas qui se produit en moyenne en 30 épisodes répartis sur deux ans. Croulant sous une épaisse couche de glace, environ 80% des arbres du parc du mont Royal, soit environ 86 000 arbres, sont endommagés par le verglas.

L’accumulation de glace affecte les espèces d’arbres de manière différente selon leur nature et leurs caractéristiques. Les arbres à la cime large comme les frênes et les érables argentés sont beaucoup plus affectés par le verglas. D’autres espèces, telles les chênes à gros fruits et les chicots du Canada, résistent mieux, car leurs cimes sont plus étroites et leurs branches, plus souples (référence Agence Science Presse).

D’innombrables branches jonchent le sol ou menacent de céder sous le poids de la glace; d’autres pendent dangereusement au-dessus des zones de circulation rendant la promenade impossible. Dès le 7 janvier, le parc est déclaré terrain dangereux et, mesure extraordinaire, fermé pendant plus d’un mois.

Après la pluie, le grand nettoyage

Le parc du Mont-Royal ressemble alors davantage à un chantier forestier qu’à un grand parc urbain. Les amis de la montagne et la Ville de Montréal consultent des experts en foresterie afin de déterminer les actions à prendre. Pour des raisons de sécurité, il est décidé de procéder à l’élagage et à l’abattage des arbres endommagés, puis au nettoyage des sous-bois.

Une grande opération de nettoyage s’organise. Pour ce faire, la Ville de Montréal engage une cinquantaine de bucherons pour abattre quelque 5 200 arbres condamnés et ramasser les montagnes de résidus de coupe. La tâche est colossale et un appel est lancé afin d’embaucher une main-d’œuvre qualifiée. Les amis de la montagne font appel aussi aux grandes entreprises montréalaises et au grand public pour contribuer financièrement à cette vaste opération et pour obtenir l’aide de centaines de bénévoles pour des corvées de ramassage de branches.

Peuplés d’arbres endommagés et de branches cassées, les milieux boisés et les pistes de ski de fond sont fermés tout l’hiver pour des raisons de sécurité. En mai, une patrouille de sensibilisation est mise en place par Les amis de la montagne pour veiller à la sécurité des visiteurs et à la protection du parc. Sa tâche première consiste à empêcher piétons et cyclistes de circuler dans les sentiers dangereux et à réduire les risques de feux vu l’abondance de branches mortes au sol.

Comment se porte la montagne aujourd’hui?

Il y a 20 ans, le mont Royal aura en quelque sorte vécu sa propre ère de glace. D’ailleurs, certaines traces sont toujours apparentes dans ses boisés.

Par exemple, les nouvelles branches qui remplacent celles coupées ou tombées sous le poids de la glace sont plus fragiles et susceptibles aux maladies et au développement de champignons. Souvent, elles peuvent pousser de manière verticale sur des arbres ayant été pliés, ce qui en affecte la longévité. Aussi, les zones lourdement affectées par le verglas sont plus sujettes à la croissance de végétation invasive, comme l’érable de Norvège, le nerprun cathartique et l’anthrisque des bois, qui tirent profit de la lumière apportée par l’éclaircissement au niveau de la canopée de la forêt (référence Agence Science Presse).

La nature fait bien les choses, mais Les amis de la montagne et ses milliers de bénévoles donnent un petit coup de pouce à la forêt depuis le verglas et procèdent à la plantation   d’arbres et d’arbustes et au contrôle des plantes invasives chaque année.

L’agrile du frêne : la prochaine crise?

Tout comme la crise du verglas, l’agrile du frêne menace le patrimoine arboricole du mont Royal. En effet, la lutte contre cet insecte d’origine asiatique s’annonce longue et ardue. En 2017, la Ville de Montréal annonçait l’abattage de près de 4 000 frênes dépérissants et la plantation future de 40 000 arbres afin de minimiser les ravages de l’agrile dans le parc. Ces interventions contribueront certainement à l’intégrité des milieux naturels de la montagne.

Or Dame Nature peut nous réserver encore bien des surprises comme nous l’a démontré la récente vague de froid extrême. Mais les efforts déployés lors de la crise du verglas témoignent de l’amour qu’ont les citoyens pour la petite montagne au centre de la ville.

Vingt ans après le verglas, nul doute que le futur du mont Royal ne laisse personne de glace.
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